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LA TRADUCTIÈRE N° 25 juin 2007 revue franco-anglaise de poésie et art visuel

Jacqueline Starer : K.B. Keith Barnes
édition bilingue, traduction anglaise par Helen McPhail, éditions d’écarts, 2007 (121 pages, 20 €)

Dans une note finale, Jacqueline Starer précise : « Ce récit constitue la véritable préface à l’œuvre poétique de Keith Barnes. » Le livre s’articule en cinq parties : la première, consacrée aux derniers mois de Barnes, mort d’une leucémie aiguë le 10 septembre 1969, dans sa trente-cinquième année ; les suivantes, construites comme une remontée dans le temps. La vie de K.B. est vouée à la recherche de soi à travers l’écriture, dans un tourbillon de lieux, de rencontres. Né dans l’East End de Londres, il est fasciné par la création débarrassée de ses entraves ; il compose dès l’âge de douze ans, est admis l’année suivante à la Royal Academy of Music, renonce à écrire de la musique à vingt-cinq ans, décide de se consacrer à la poésie, est tenté par la peinture et la sculpture, écrit des romans, revient définitivement à la poésie.

Jacqueline Starer fut sa compagne pendant les six dernières années de sa vie. Elle choisit la distanciation en posant deux personnages : elle et il : Keith est mentionné parfois par la seule lettre K. qui nous renvoie inconsciemment au mystère Kafka. Difficulté de la tâche : le récit oscille entre l’intime (la compréhension, la lecture de l’autre) et le mondain (les relations littéraires, les liaisons amoureuses) et le recul voulu, la volonté d’être le regard du lecteur. Ce qui permet de sortir de l’anecdote (les séjours à Paris, aux U.S.A, en Israël ; les voyages ; les noms des écrivains amis ou amants ; la description des appartements et des maisons où le couple séjourne), c’est l’impression de fuite, d’errance, qui renvoie au travail secret de l’écriture ; c’est l’insertion d’une histoire dans une Histoire en train de se faire, elle aussi, à travers les épreuves (la Guerre des Six Jours, Mai 68). Ma préférence va à la première partie qui évoque avec pudeur la fin de K. : « Depuis quelques mois, il ne travaillait plus jusque tard dans la nuit, la nuit qui ne juge pas, qui ne blesse pas et lui donnait le sentiment d’être son propre maître […] » ; la vie et l’écriture s’y rejoignent dans un moment unique où l’on ne sait plus si c’est la vie qui tue l’écriture ou si c’est l’écriture qui tue la vie.

Une première édition de K.B. était parue en 1987 (Maurice Nadeau, Paris). Celle-ci, en disposant la traduction sur la page de gauche, à l’inverse de la tradition, nous rappelle que, bien qu’en exil, Keith Barnes resta profondément attaché à sa langue qui le fascinait en tant que matériau premier, inépuisable. Les phrases de Helen McPhail renvoient à l’original avec discrétion et élégance.

Claude Held, 2007