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Le Journal des Poètes n°2 2009

Charles Wright
Les Appalaches
Appalachia
Trad. A.C. Carls
Ėditinter, 2009

Nous pouvons savoir gré à Alice-Catherine Carls, qui a déjà apporté à ce qu'on appelle la francophonie de nombreuses traductions de l'allemand, de l'anglais et du polonais, de nous donner aujourd'hui, en version bilingue, ce recueil d'abord publié en 1998 par Farrar, Strauss & Giroux, l'un des plus grands éditeurs notamment de poésie aux États-Unis, et qui a valu à son auteur le prix Pulitzer. Il faut dire que Charles Wright, qui est né en 1935 dans le Tennessee, et qui compte à ce jour vingt-deux livres publiés, essentiellement de poésie, mais aussi de critique littéraire et des traductions de l'italien - il a longuement vécu en Italie - collectionne les prix et distinctions : vingt et un jusqu'ici.

On peut ainsi chercher la raison d'une si rapide, brillante et durable reconnaissance de ses pairs et de son public, aux Etats-Unis et dans les nombreux pays où il a été traduit. Charles Wright s'inscrit, au XXe siècle, dans une tradition déjà bien ancrée, celle qui unit la terre américaine et le sentiment de transcendance qu'elle peut inspirer.

Sur quoi écris-tu
D'où te viennent tes idées ?

De cette question qui est le titre d'un de ses poèmes, il répond aussitôt :

Du paysage, bien sûr, du concept de Dieu et du langage
En soi,  
         pure grâce,
invisible, sûre et claire.

On pense à Whitman, à Thoreau, à Emerson et, en même temps, par sa délicatesse, Charles Wright nous ramène à Emily Dickinson pour qui la nature est une maison hantée. Avec des vers libres et en apparence faciles, une élégance simple, il nous fait percevoir en images et métaphores cette vaste réalité américaine où il est encore possible de passer instantanément du brin d'herbe dans la rosée à l'autoroute dans le crépuscule quand Vénus s'allume dans le troisième ciel. La spécificité de Wright se trouve précisément dans un va et vient incessant, dans un balancement permanent entre une présence, un enracinement physique dans le réel et une interrogation sur le divin, un doute qui nous tiennent en haleine jusqu'à la fin de l'ouvrage.

Nous vivons dans deux paysages, aurait pu dire Saint-Augustin.
L'un éternel et divin,
                               Et l'autre, le jardin,
Feuilles mortes et herbe morte de novembre, violette au printemps.

Avec un lyrisme contenu - ses sens sont en éveil mais jamais nous ne sentons de sensualité ni d'effusion - il livre pourtant cour et âme, ses hésitations, son questionnement constant sur l'existence de Dieu avec un élan et une franchise touchantes.

Mais si Dieu était toujours ici
               Il engloutirait nos soupirs dans son néant.

Les Appalaches, c'est le livre d'un homme mûr qui peut avoir une ample préhension du temps, à qui il est possible de regarder en arrière tout en sentant au plus intime ses propres limites. Le langage a une fin, sent-il bien. Pendant quarante ans, il aura composé son Livre des morts appalachiens, louant présent et passé, tentant de faciliter le passage final - ce recueil est d'ailleurs dédié à sa sour qui passa toute sa vie en ces terres et en ces paysages, au pied du Blue Ridge -, cherchant sa vérité, un apaisement, se référant aux sagesses anciennes : égyptienne, chinoise, biblique, en appelant aux lieux qui lui sont familiers : la Virginie, le Montana, les Appalaches du Tennessee, la Toscane, l'Ombrie et rappelant les compagnons de route que furent Flaubert, Tchekhov, Montale, bien d'autres.

Toute ma vie, j'ai cherché cette lente lumière, cette lueur
.
Dans le lapis-lazuli de fin d'après-midi
.
Jusqu'à ce qu'il n'y ait rien d'autre.

De même que la démarche de Charles Wright traduit sa profonde ambivalence, nous atteignons la rive de son recueil avec un double sentiment : de tristesse et d'élévation. Son écriture, élégante, sincère, séduit en douceur, ce qu'A.-C. Carls souligne à juste titre dans sa postface, complément bref et dense à ce recueil. Peut-être est-ce sa fondamentale humilité qui emporte si unanimement l'adhésion, l'aveu qu'il sait n'a pas vraiment la réponse.

Nos vies ressemblent à celles des oiseaux, ballotées, chassées
Nous sommes passés et jetés et portés à travers le ciel,
Noyés dans le bleu de l'infini,
                                       Tache floue et blanche et dérive.
Nous disparaissons comme les étoiles, en silence, sans trace.

Jacqueline Starer (2009)