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Harry Clifton
L’observatoire des oiseaux
The Bird-Haunt
Poèmes traduits de l’anglais (Irlande)
Alidades ~ Collection ‘Irlande 21’ 5,70€

Deuxième titre de la Collection bilingue ‘Irlande 21’, dont le premier : Territoire Territory de Patrick Deeley avait été traduit par Emmanuel Malherbet lui-même, ‘micro’ éditeur sis à Thonon-les-Bains, dont chaque publication est marquée par le perfectionnisme, L’Observatoire des oiseaux The Bird-Haunt est une petite (46 pages) mais brillante constellation.

Cet ouvrage réunit en effet, outre Harry Clifton, poète réservé et d’humeur solitaire, Emmanuel Malherbet lui-même, rigoureux et veillant à ce que ce livre soit aussi parfait que les précédents – on se souvient des textes de Wilfred Owen et de Siegfried Sassoon - et un collectif des traductrices Magdelaine Gibson, Françoise Loppenthien et Sylvaine Marandon, emmené par Michèle Duclos, qui introduit inlassablement en francophonie, de son style précis et fluide, nombre d’auteurs anglais et irlandais, des années trente à ce jour.

Nous avons ici quinze poèmes tirés, à l’exception du dernier The Crystalline Heaven, du recueil Secular Eden paru chez Wake University Press en 2007. Né à Dublin en 1952, Harry Clifton a publié neuf recueils de 1976 à 2012, dont deux de prose et un en français Le canto d’Ulysse (Presses universitaires de Bordeaux, 1996). Deux fois récompensé, par le Prix Patrick Kavannah en 1981, et l’Irish Times Poetry Now pour Secular Eden en 2008, il est titulaire d’une chaire de poésie à l’University College de Dublin.

Son parcours, ressemblant en cela à celui de la majorité des poètes irlandais, inclut pourtant un grand nombre de voyages de par le monde, Asie, Afrique, dix ans en Europe, après la rencontre de Deidre Madden, sa femme, en 1994, elle aussi écrivain, d’abord en Italie, puis en Allemagne, et surtout en France. L’Observatoire des oiseaux en est imprégné, le 14e arrondissement de Paris se révélant pour lui, comme il le fut pour Becket et Giacometti, un lieu privilégié, où il se sentait bien et en sécurité :

Qu’est-ce qui compte ? Qu’est-ce qui remplit l’espace ?

…la rue d’Alésia, dehors sous la pluie, Les millions d’inconnus
Tournoyant comme des atomes dans le moyeu de Montparnasse ……

Si vous tombiez raide mort
Une ambulance viendrait vous cueillir
Et vous assurer une place dans l’univers.

Mais, mieux encore, là où le poète se sent totalement à l’aise, sans contraintes, au plus confortable pour écrire – et qui est l’un de ses thèmes majeurs, c’est « l’entre- deux ». Pas de sentiment d’exil, d’appartenance, ou de nostalgie pour le lieu d’où l’on vient, ni d’attachement pour celui où l’on est, ni d’espérance d’un autre encore. Car l’époque, de toutes les façons, est malade, comme lui affirme son Docteur Benn. La seule chose qui vaille : ce sentiment de bien-être dans les entre-deux : que ce soit au cours d’un bref vol entre Dublin et Paris, dans une pièce quelle qu’elle soit, ou en un lieu isolé.

tranquille, à bord,
Entre deux mondes, suspendu à mi-vol,
Je rêve d’une table nue, de la chaleur à venir,
D’un silence au cœur de Paris, d’une pièce à soi,
Détaché, anonyme, rien à faire qu’écrire.

… j’aspire à un temps dénué de sens
Où le seul poème serait description pure
Sans verbes transitifs, ces verbes d’action

Qui tourmentent le paysage.

Au fond, c’est en ermite, en Diogène, que Clifton souhaiterait vivre et L’observatoire des oiseaux, cet affût de bois, au bord du [lac] Lough Neagh, en est le parfait symbole.

C’est l’hiver…Isolé volontaire,
Immortel, dernier des ermites primitifs d’Irlande,
Je lève le couvercle comme une écritoire
Et la lumière entre à flot,

Scriptorium géant

Dans le tumulte du monde ;
Le vent m’a porté là, sur un tapis
De feuilles noircies. Et voici en suspens,
Mon esprit amphibie Entre deux éléments,

Il n’est pas d’idéal, pas une utopie qui vaille : même Stendhal aura pu se méprendre. Un seul fait s’impose à la fin, Dans l’ombre de Dante, c’est vieillir, dernier mot du dernier poème de ce recueil, qui ne laisse d’espoir qu’en cette certitude et, en écriture, cette pourtant nécessaire solitude.

Jacqueline Starer (13 juillet, 2013)