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Le Journal des Poètes n°4 2006

Jacques Dupin
Cendrier du voyage
Fissile, 2006

Quand une œuvre prend son élan

Jacques Dupin avait vingt-trois ans quand, en 1950, Guy Lévis Mano publia son premier ouvrage, Cendrier du voyage, que réédite en 2006 Fissile dans une collection du même nom. Propulsé par un avant-propos de René Char qui l'accompagna toute sa vie de son amitié et orné d'un frontispice d'André Masson, l'un des artistes que Dupin servit inlassablement par ses écrits et de sa dévotion, ce bref recueil révèle une écriture de l'apparition.

Elle bouscule la gangue qui lui servait d'écrin. Elle casse la coque et, ayant frappé un grand coup au fond qui aurait pu, dans ces années de ruines, la retenir de ses scories, se balançant entre cime et abîme, elle s'élance, abrupte. Dupin est né. Ces premiers textes nous frappent en pleine figure comme les cris d'un nouveau né jeté dans la vie et qui, dans ce choc frontal, va aussitôt, de sa voix, baliser l'espace de son futur.

Une poésie forte, violente même, fait son apparition. 'La dure option de la lumière' annonce un 'midi en armes' qui, affronté, ne sera pas, on le sent bien,  un midi en larmes. 'J'ai désappris les larmes', écrit-il. Travaillé par l'obscur, par une 'négativité souterraine', Dupin ne s'arrêtera pas à un écart qu'il reconnaît et qui pouvait corroder et miner. Il nous donnera une écriture vivifiante, fortifiante.

'Le plomb se glisse dans le lit  
Immobile comme on entre dans la mer'   

mais

'Le torrent remonte son cours pour aveugler la source absente'.

Une masse profonde anime Dupin qui exorcisera le noir et blanc de noces solitaires. 'Nous portions le noir avec tant d'élégance'. Mais les 'enfants du glas' sont aussi les 'enfants du large'. Et de [sa] 'gouttière de bleuâtre torpeur', il passera à l'azur deux fois évoqué. Quant à sa compagne, 'sa lèvre expire une jaune écume où vient s'émerveiller le soleil'.

On sent le dynamisme d'un assaut. 'Volcan, je te jugule'.'J'incarne enfin la transe originelle, la foudre blanche et glacée du premier rapt'.

Et, face à l'injonction 'Ignorez-moi passionnément' qui clôt l'ouvrage et sera repris dans Les Brisants de Gravir (1963), on se prend à sourire, non parce qu'elle manquerait de sincérité, mais parce qu'elle exprime exactement le contraire de ce qu'elle dit. Elle signifie : 'Écoutez-moi', bien sûr, avec une innocence qui ne peut être que celle de l'être à sa naissance. Un poète se reconnaît dès ses premiers mots car il exprime le cri premier. Et sa fraîcheur est toujours neuve.

Jacqueline Starer (2006)