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Jean Jacques Bonvin
Ballast
Éditions Allia, 2011
61p. 6,10€

Cassady, Kerouac, Ginsberg, Burroughs, jusqu'à la mort

Quatre amis écrivains dont on a suivi les périples et l'ouvre depuis maintenant plus d'un demi-siècle et que l'on va, sorte de privilège ultime, accompagner jusqu'à leur dernier souffle. Ballast, dès sa parution, avait frappé par l'audace de son sujet : une variation, avec broderies et arabesques, documentées, circonstanciées, sur la description clinique, minutieuse, de la mort de quatre des personnages mythiques de la Beat Generation : Neal Cassady (42 ans), Jack Kerouac (47 ans), Allen Ginsberg (71 ans), William Burroughs (83 ans). Un court livre, percutant, par la finesse de sa perception, par une sensibilité translucide, une écriture limpide et enlevée. Jean- Jacques Bonvin ne se limite pas à leurs derniers moments, il s'envole avec élégance et véracité dans l'évocation de leur vécu, de leurs pensées, de leurs rêves.

Peu osent montrer la réalité des derniers moments : nausées, ce qui va mal inside - Jean-Jacques Bonvin a besoin de l'anglais pour dire certaines choses : vomissements, sang qui coule - de partout -, appel à ceux / celles que l'on a aimé(e) s - que la mort commence par survenir en solitude sur le ballast d'une voie ferrée au nord du Mexique pour Cassady pour prendre corps à l'hôpital le plus proche le 3 février 1968. À Orlando en Floride pour Kerouac à l'hôpital Saint-Antoine de Saint- Petersburg le 21 octobre 1969. Avec la présence, le soutien, l'affection de ses proches amis pour Ginsberg, chez lui puis au Mount Sinaï Hospital de New York, le 5 avril 1997. Avec John Giorno pour Burroughs chez lui, à Lawrence dans le Kansas le 2 août 1997. La mort moderne n'est pas immédiate absolument, elle n'est pas ménagère en son efficace, qui nettoierait illico jusqu'à la présence perceptible de ceux qu'elle a choisis.

Jean-Jacques Bonvin, né en Suisse en 1951 et qui a vécu à New York de 1976 à 1979, étudiant la danse chez Merce Cunningham, a découvert l'ensemble de la Beat Generation d'abord par la lecture de Off the Road de Carolyn Cassady. Remontant le temps, il est finalement devenu un fin spécialiste de ses écrivains et de la sensibilité du groupe. Il l'a comprise, il la décrit de l'intérieur dans une composition dont les éléments doivent aussi beaucoup à sa connaissance viscérale de la musique contemporaine. Notons qu'il a créé le Festival de poésie sonore de Genève en 1983, aujourd'hui Roaratorio. Jean-Jacques Bonvin se plaît aux États-Unis : c'est là aussi qu'il situe les personnages de son dernier ouvrage Larsen, également publié aux Éditions Allia. Nous y reviendrons.

À Marseille, le 13 avril 2013, Jean-Jacques Bonvin lisait Ballast. Nous étions à La mille et unième nuit du Colloque à Tanger organisé par le CENTRE INTERNATIONAL DE POÉSIE MARSEILLE. John Giorno avait également évoqué, au cours de ce Colloque, le souvenir finalement heureux de la mort de Burroughs, son ami, apaisé en ses derniers moments, au bout d'une vie tendue, tourmentée. Il ne s'était jamais, à aucun moment libéré de ce moment tragique où, par erreur, il avait tiré et manqué cette pomme. Lecture émouvante : Kerouac vidé de son sang, c'est le dernier mouvement d'une variation à quatre voix sur le thème du rêve cassé sec, du vol époumoné dans la tempête de fleurs, sur le thème aussi de la joie qui courait en filigrane dans les revendications les plus entêtées alors faites à la vie puisqu'on voulait le monde en cessation de commerce... Des nuits entières entourent ces hommes qui marchent comme ploie la flamme d'une bougie dans le vent.

Il nous reste à remercier et Gérard-Georges Lemaire et Emmanuel Ponsart et François Lagarde - dont l'exposition des photos a servi de cadre à cet événement - et tous ceux grâce à qui ont pu être entendues des voix mises en écho de ce nouvel hommage à Brion Gysin & William Burroughs presque quarante ans après celui qui leur fut offert à Genève en 1975.

Jacqueline Starer (29 mai, 2013)