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version longue d’un article paru dans Le Journal des Poètes 2005

Les éditions d’écarts
Mireille Batut d’Haussy

Avant de pouvoir, en 1997, réaliser un souhait qui date de 1964 : être Éditeur, et après avoir commencé par goûter, enfant, aux délices et aux décors du théâtre - la faute à Claudel, Mireille Batut d'Haussy a pas mal bourlingué à travers les langues, les cultures, les continents : lisant Rilke, Hölderlin dans le texte, c'est tôt que lui est venu le goût de la poésie étrangère. Succèderont aux séjours dans la Mitteleuropa prise au sens large, l'enseignement de l'histoire des religions, des voyages d'études au Moyen Orient, la vie dans le Cône Sud au moment des plus grands dangers puis le retour en France de celle qui, en partant, n'avait rien à envier à ses congénères d'universitaires.

D'abord, c'est le lancement de l'association KHÔRA qui regroupe trois activités : le théâtre avec la Compagnie Télos, la Galerie MBH et les éditions d'écarts avec, pour chacune, la volonté de donner à entendre, à voir, à lire ceux qui ne seraient peut-être pas sans elle. Et si l'on se demande pourquoi le nom d'écarts, la réponse se trouve dans ce sentiment de gouffre en soi, de béance, de désespérance qui est pire que la distance à l'autre et qu'il faut tous deux à tout prix réduire sinon abolir pour survivre. Il faut 'travailler' cet écart, dépasser le 'mal aux autres' qui pousserait naturellement à reculer, à s'enfermer et à se taire.

En devenant Éditeur, Mireille Batut d'Haussy, face à ce vide, choisit l'action, et les collections voient le jour avec chacune leur(s) domaine(s). Mais messages et sensibilités sont traversées par une même conviction : l'amour est le seul moyen d'arriver à quoi que ce soit. Pour Mireille Batut d'Haussy, pour ses auteurs, s'il est clair que l'on grandit seul(e), dans ses meurtrissures, avec ses rejets, la solution, unique, réside dans la séduction de l'autre à l'idée et à la réalité de l'amour : l'amour comme base, l'amour comme but.

Aux éditions d'écarts, en 1997 et 1998, naissent les Collections Fil à Fil et Kraft, de littérature contemporaine (romans, nouvelles, poésie, théâtre) et nous pouvons découvrir Marie Debray, Meïr Cohen qui ne se résignent pas à buter contre les malaises d'aujourd'hui, Zoé Frachan. En 1999, les Cahiers d'auteurs avec l'émouvante Suzanne Aurbach et, plus tard, Alain Pizerra le révolté. En 2000, Diasthème avec Cynthia Fleury qui fait face à la relation Orient/Occident en s'élevant contre toutes les paresses mentales. En 2002, Télos nous fait entendre la voix de Mireille Batut d'Haussy elle-même.

Tandis que la Collection Fil à Fil continue de se développer avec Denitza Bantcheva, François Carré, Eva Farago Arbaney, Nikolaï Kantchev, Monique Raïkovic, Antonia Soulez, Andrée Vilar, sont lancées en 2003 deux nouvelles collections, bilingues, Grand Écart (Ouvres complètes) : c'est l'ouvre poétique de Keith Barnes qui nous est donnée à lire dans une somptueuse édition de référence et Hasta Siempre (domaine latino-américain) avec Nora Herman. Une collection Jeunesse (qui aura son nom) est en préparation. Fin 2004, dans la collection Fil à Fil : on lit Martin Melkonian avec ses Conversations au bord du vide et Ernest Bogler avec HAÏM.

Ses auteurs, Mireille Batut d'Haussy ne les choisit pas nécessairement pour leur 'belle écriture' mais parce qu'ils l'ont profondément touchée, voire fascinée, au point de vouloir faire partager son émotion, transmettre son enthousiasme. La publication, ici, est générosité et, à chaque auteur, une vie hors du commun doublée d'une écriture ou d'un projet d'écriture dont la dimension est chaque fois éthique. Mireille Batut d'Haussy qui n'est pas une politique est en effet sans nul doute politique au sens où rien de ce qui a trait à la Cité ne l'indiffère et où, face à l'ordre établi, elle est convaincue que toutes les questions peuvent et doivent être posées.

Dans un monde où le profit fait loi, où la destruction continue ses ravages, où le divertissement triomphe, un monde où le manque d'imagination se complaît dans la copie conforme, il s'agit avant tout de ne pas succomber au désir d'anéantir (Ô les Commandements anciens !), il s'agit de 'tenir' sur tous les plans, ce que fait Mireille Batut d'Haussy, telle une héroïne de Kleist fidèle à ses idées et à elle-même au milieu du malstrom et de la cruauté ambiants.

Mireille Batut d'Haussy qui ne tolère ni le laid, ni le faux, ni l'approximatif, ni le redondant, est modeste. Son ambition, elle la réserve à ses auteurs pour lesquels, seuls, elle tient à la reconnaissance.

Il faudra être attentif aux éditions d'écarts dans les années à venir. Elles prennent leur essor. Des surprises nous attendent.

Jacqueline Starer (2005)