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in Une Âme qui joue À bouche perdue
éditions de la MIPAH (Bruxelles), 2010 et 2011

Shizue Ogawa, un portrait, une écriture.

Shizue Ogawa est née au Japon en 1947. Spécialiste de Keats, elle y enseigne la littérature anglaise dans plusieurs universités. Remarquée en poésie par le professeur Josaburo Ogino au Doshisha Women's College à Kyoto, elle a toujours écrit mais n'a publié ses poèmes que depuis 1999 : Water - A Soul at Play I réunit ses textes écrits de 1991 à 1999, Flames - A Soul at Play II, ceux de 1998 à 1999 et Sound - A Soul at Play III, de 1999 à 2007.

Ecrits en japonais, les poèmes de ces trois recueils ont été traduits en anglais par Donna Tamaki, née à Chicago, professeur pendant de nombreuses années au Doshisha Women's College, en étroite collaboration avec Shizue Ogawa elle-même. Donna Tamaki vit actuellement aux Etats-Unis, dans le Maine. Shizue Ogawa et Donna Tamaki ont été invitées en 2005 et en 2007 aux Biennales internationales de poésie à Liège où je les ai rencontrées.

Rencontre personnelle fulgurante : en m'asseyant à la table de Shizue Ogawa et au contact de son regard, il m'a semblé que je m'élançais en terre inconnue, dans une profondeur dont je n'avais pas idée et a fortiori ne pouvais du tout maîtriser, tout juste aborder. Ce fut un choc émotionnel immédiat et total. Elle m'offrit ses recueils et je n'ai jamais pu les lire ou les relire sans me trouver dans un état de parfaite disponibilité, sans que le vide, le silence ne m'entourent de manière absolue avec la certitude de n'avoir aucune interférence.

Peu d'autres écrivains jusqu'à ce jour avaient requis de moi une exigence de calme personnel, de liberté intérieure, telle que ne puisse me consacrer autrement à leur lecture. Les émotions ne se commandent pas, pressantes dans leur immédiateté, se manifestant au-delà de tout contrôle et pourtant bien liées aux centres de l'intelligence et du jugement. C'est ainsi que l'ouvre de Shizue Ogawa fait, à chaque fois que je m'en approche, irruption en moi, me capte et me laisse une impression indélébile de souffle coupé.

Sa présence inhabituelle, faite d'un mélange de simplicité, de préhension concrète de la réalité, d'humour mais aussi de cruauté et d'une intraitable liberté d'esprit et d'action, charme, saisit et déconcerte. Son écriture est tout sauf anodine. Légère comme une libellule, Shizue Ogawa a aussi de cet insecte la mobilité, la rapidité, la large vision. Elle effleure la surface du monde, pourrait-on croire à première vue, parle d'elle-même à la fois avec délicatesse et franchise, et l'on est touché au fond. Sous des dehors frêles et policés, une innocence apparente, se révèle en fait une profondeur de perception et de vue ainsi qu'une connaissance de soi sans complaisance et en même temps toute en nuances.

Ses textes sont immédiatement compréhensibles, on croit voir avec la plus grande clarté mais il ne faut pas s'y méprendre, il n'y a là aucune facilité. L'exercice de traduction est toujours révélateur : prendre en mains ses poèmes, c'est essayer en permanence d'attraper des reflets. On approche, on se penche, on laisse son esprit faire son ouvre et l'on s'aperçoit qu'il faut se mettre de côté ou plus en face, ou plus en retrait, reculer pour mieux voir et surtout ne jamais se fier aux apparences ni s'appesantir.

La douceur, la fraîcheur, la simplicité, la fluidité se doublent de sentiments décalés, graves, parfois tragiques, parfois sans pitié, et surtout libres. Libres d'aimer, de compatir, de partir, de revenir. Shizue Ogawa manifeste à tous moments un esprit fort, une personnalité tendre mais dure, une lucidité sans concessions, une détermination sans faille, à suivre son chemin, à poursuivre son but en imposant sa volonté. Et, face à la mort, elle se sent une forteresse protégée et paisible, elle garde les yeux ouverts. Son calme confond.

Le lâcher prise n'est pas juste une expression pour elle. Elle en a de longue date vérifié la valeur et la nécessité. Mais il s'accompagne de solitude, bien qu'elle demeure tendrement attachée à sa famille, à sa mère, à son père, à ses sours. Et qu'elle garde à tous moments pour son pays un très fort sentiment d'appartenance et de fierté. En Belgique, en France, pour ne citer que ces deux pays, son souci est de ramener chez elle les mots qui transmettront au mieux ce qu'elle aura ressenti de nos régions, sur nos fleuves - la Seine, la Meuse, dans nos forêts, au milieu de ces humains, poètes ou simples souffrants rencontrés au fil du temps, de l'eau, des lectures, des silences et des sourires partagés.

Et la musique, liée au déroulement du temps, sera là, en arrière plan, donnant une tonalité solennelle, sinon sacrée. Musique instrumentale : du violon d'abord, violemment rejeté pour avoir été imposé, du violoncelle, mais aussi celle de l'orchestre d'été où ce sont les coccinelles, les cigales, les grenouilles coassantes qui rythmeront le déroulement du temps et seront annonciatrices de la fructueuse récolte à venir du riz.

Place est laissée aux promenades d'amies et au bonheur simple du couple qui se tient par la main. Ce fut une bonne journée, dis-tu. Quoi de plus ? Dans la retenue, la discrétion, un sentiment de bien être, et de sympathie, se fait jour chez la lectrice, le lecteur de Shizue Ogawa, qui savent bien que depuis qu'ils ont fait connaissance avec son ouvre, avec elle, rien ne sera ressenti exactement de la même manière. La libellule continue de voleter dans sa gracieuse vivacité.

Jacqueline Starer (2008)