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Poésie sur Seine n° 42 2002

Présence de Keith Barnes (1934-1969)

Dans le miroir se fondent mes yeux mes lèvres
La vie porte parfois même aux traits les plus rudes des coups
d'une telle violence qu'ils creusent des cavités aux béantes parois

"Le Miroir" Né sous les éclats des vitres

Le poète anglais Keith Barnes, qui vivait alors à Paris, a été emporté, le 10 septembre 1969, à l’âge de trente-quatre ans, par une leucémie sans appel.

Il a laissé une œuvre composée de trois recueils dont les thèmes demeurent d’une parfaite actualité. Poèmes d’amour qui défient le temps, de guerre, critique sociale, famille et réflexion sur l’écriture qu’il ne séparait pas du sentiment de la mort, tous traversés par un humour bondissant, bizarre qui rappelle une ascendance dans l’East End de Londres.

Publié en Grande-Bretagne au début des années soixante dans divers journaux et revues : The Times Literary Supplement, The Observer, Time & Tide, Tribune etc., il a vu son premier recueil ‘Born to Flying Glass’ (Né sous les éclats des vitres) paraître aux Etats-Unis en 1967 (Harcourt, Brace & World) et ses premiers poèmes traduits en français dans Les Lettres Nouvelles en mai-juin 1968.

En 1968, il achevait aussi son deuxième recueil ‘The Thick Skin’ (La Peau dure) et, en 1969, avait commençé le troisième ‘Ain’t Hung Yet’ ( Ils ont pas encore eu ma peau) quand la mort fit irruption dans sa vie.

Des extraits des trois recueils, traduits en français, ont été présentés en accompagnement de ‘K.B.’, à  la fois son portrait, le récit d’une écriture et un témoignage sur la vie et l’errance d’un jeune couple dans les années soixante d’abord à Paris puis aux Etats-Unis (Maurice Nadeau, 1987).

Né en 1934, Keith Barnes avait vécu le Blitz à Londres et en avait été marqué à jamais.

- et Anne   mais Anne   la fusée vous avait transpercés
toi   ta mère    le petit ours souriant
Les shrapnels vous avaient déchiquetés    le sang giclait

"Souvenir de mes six ans" Né sous les éclats des vitres

Il était cependant, avant tout un 'Love-Poet'. Il éprouvait pour ceux qu'il croisait, côtoyait, avec qui il vivait, une immense tendresse et, s'il ne possédait rien sur le plan matériel, il donnait beaucoup. Sa générosité, son amour pour autrui nous touchent jusqu'aujourd'hui. Il était à l'écoute, sensible à chacun et était aimé en retour. Il était aussi sensuel, instinctif, intuitif.

nous nous étreignons
reflétant la lumière    jusqu’à ce qu’il semble
que nous puissions emplir l’éternité

"Soleil à blanc" Né sous les éclats des vitres

Il portait sur la société, sur son environnement social, un regard plus que critique - certains de ses poèmes continuent d'ailleurs de grincer - et pourtant il gardait une personnalité ouverte, au bonheur de vivre et à l'humour communicatifs.

J’ai tant reçu des hommes et des femmes
de mes amis   de mes ennemis   tant
de tendresse   de rancune   d’indifférence
de chaleur   d’aide   de sympathie
de haine   d’opposition
que je pourrais appeler bonheur
le simple fait de vivre ici jour après jour
au milieu d’eux

"J’ai tant reçu" Né sous les éclats des vitres

Son écriture est simple, accessible, concrète. Tantôt proche de l’enfance, tantôt grave, tantôt familière, tantôt tragique. Il est un domaine – parmi d’autres – où sa perception est d’une brûlante actualité. Il avait vécu et douloureusement ressenti la tension provoquée par le choc des cultures en commençant par celui des éducations. D’origine ‘Working Class’, il s’était rapproché, par ses unions et ses choix de vie, de classes sociales différentes ; il n’appartenait plus à l’une et n’appartenait pas non plus aux autres.

Je fus écartelé entre un peuple donné et un peuple choisi
Entraîné vers le haut par une main bien serrée
Fermement retenu à la terre par la racine

"Retour" Né sous les éclats des vitres

Lui restait le sentiment d'être en transit, partout un étranger ; celui de n'être nulle part, en attente, dans ces villes qui se transforment implacablement en ternes et interminables banlieues avec le risque, la crainte de l'anéantissement.

Et je prends le train   éternellement le train
Rumeur   murmure  tout au long de ma vie
Ma place est dans la salle d’attente avec une lumière affamée

"Toi" La Peau dure

La majeure partie de l'ouvre de Keith Barnes est cependant consacrée au thème de l'amour dans ses différentes composantes : les rencontres et leur éblouissement, le mariage, la vie en couple avec leurs avatars, les séparations, les nouveaux départs, la tendresse, l'amitié, les amours nouvelles, le désir plus fort encore que l'amour, puis le retour sur soi, le silence et l'activité créatrice.

Keith Barnes demeure présent, étonnamment actuel. Son message passe au-delà des cultures spécifiques et du temps.

En 2001 et 2002, ses poèmes ont été lus, à Paris, à La Maroquinerie, au Club des Poètes, devant le Cercle Aliénor et publiés dans de nombreuses revues dont Grèges, Arsenal, Poésie/première, Encres Vagabondes, L'Ouvre-Boîte, La Braise et l'Etincelle, Poésie 13 et dits sur IDFM Ile-de-France. L'écho reçu semble donner raison à sa vision de la vie :

Le réaliste est celui qui construit sa maison sur du sable
celui qui à jamais tombe dans des sables mouvants
comme en extase   comme la musique qui glisse dans notre esprit

"Lettre à un réaliste" Ils ont pas encore eu ma peau

Jacqueline Starer