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La trajectoire de Keith Barnes
Le créateur, le poète

Une naissance dans l'East End de Londres - le 12 novembre 1934 - , des relations perçues difficiles avec entourage et milieu d'origine ne sont pas des obstacles à l'épanouissement d'une créativité affirmée. La trajectoire et l'ouvre de Keith Barnes sont là pour le prouver.

D'abord des aquarelles avec son grand-père ; des leçons de piano et, étape suivante, une bourse accordée pour étudier à la 'Royal Academy of Music'. Keith Barnes avait alors douze ans. Tout de suite, il compose, à quatorze ans obtient un Premier Prix de Composition, est joué à l'East London Music Festival. Il compose jusqu'en 1959, date à laquelle il brûle toutes ses ouvres musicales à l'exception d'une suite pour violoncelle.

1959-1960 : le silence. Et soudain, à nouveau, l'inspiration. En 1960, dans le Sussex, il écrit d'une traite son premier poème, « Dévaluation » que publie aussitôt le 'Times Literary Supplement'.

Un poète est né . De mai 1960 à septembre 1962, poèmes, critiques littéraires et publications se succèdent. Ses thèmes principaux : les guerres - enfant, il a vécu le Blitz à Londres avant d'être évacué à la campagne pour deux ans - « Souvenir de mes six ans », la tension entre une origine 'Working Class' et une éducation, des goûts qui l'en éloignent sans toutefois pouvoir la lui faire renier ni oublier « Retour », la nature « Chant de printemps », l'écriture qu'il découvre et qui, aussi, l'amuse « L'Usine de poésie », l'amour dans ses divers états : il en est alors à la séparation et à l'espoir d'une ou d'autre(s) « Mots I », « Idéal ».

Le goût de l'écriture va faire place à la vocation de l'écriture. En 1962, Keith Barnes quitte : sa famille, son travail (il était à ce moment-là monteur de films à la BBC), son pays, pour Chypre où, pendant presque un an, il écrit sans discontinuer.

Au retour, il s'arrête à Paris où il rencontre, pour vivre avec elle jusqu'à sa mort, celle qui deviendra, des années plus tard, sa traductrice, pour ne pas dire son hagiographe (l'auteur de ces lignes et de « K.B. »).

Il avait trouvé celle qu'il cherchait mais elle, aussi, cherchait. Il se soumit à son désir de changement, de voyages. Ainsi, ensemble, ils vécurent aux Etats-Unis, Côte Est, Côte Ouest, en Israël, puis de nouveau à Paris, sa ville, leur ville de prédilection « Dessin d'enfant ».

Dès ses premiers textes, Keith Barnes avait été bien accueilli par la presse d'Outre-Manche. Si le 'Times Literary Supplement' l'avait plusieurs fois publié, 'Tribune', 'Time and Tide', 'John O' Londons, 'The Observer' etc. lui donnèrent aussi voix.

Chypre et Paris lui apportèrent la liberté d'écrire et un grand bonheur personnel mais les publications se tarirent en Grande-Bretagne en dépit de matériaux toujours renouvelés. Pourtant, il construisait une ouvre.

'Born to Flying Glass' (« Né sous les éclats de vitres »), son premier recueil, parut à New York en 1967 (Harcourt, Brace & World) ; le second 'The Thick Skin' (« La Peau dure ») fut refusé par le même éditeur en raison d'un changement de lecteur .

Commença alors pour Keith Barnes une période de désespoir intense et croissant qui ne l'empêcha pas d'écrire mais son humour, très vif, se mit à grincer, la critique sociale s'accentua « Lieux publics », « Moi, l'analphabète », « Réponse à Brecht ».

Ses poèmes d'amour prirent une gravité et une profondeur sans précédent « Plus aigu que mon regard », « Astérie », « Famille II : La varice ». Le thème de l'écriture fut  de plus en plus étroitement lié à celui de la mort « Les flots emporteront mes paroles ». Cette douleur aiguë de non-publication transforma son écriture.

Il avait voulu écrire pour tous, être simple, être clair. Le temps avançait et, en dépit d'une tendresse intacte pour autrui « J'ai tant reçu », il s'enferma davantage en lui-même et alla creuser des terriers de souffrance : la sienne, celle des autres et l'on eut : « Consommateur », « Le Temps de la peine ».

En 1968, plusieurs poèmes parurent, en français pour la première fois, dans Les Lettres Nouvelles. Ce fut un souffle de vie.

Un an plus tard, à Paris, une leucémie foudroyante le frappa, et il disparut à l'âge de trente-quatre ans - le 10 septembre 1969 - . Ses derniers poèmes furent réunis en un troisième recueil 'Ain't Hung Yet' (« Pas encore pendu »), titre qu'il avait lui-même choisi.

Il fallut attendre 1987 pour que Keith Barnes  revienne à ses lecteurs, en français, et de nouveau grâce à Maurice Nadeau, avec la parution de « K.B. ».

Depuis, peu à peu, sa voix grave, drôle, profonde, nous parvient, se fait entendre, porteuse d'émotion, mais aussi de sarcasme et de mélancolie, la voix d'un poète tôt disparu.

Jacqueline Starer (2002)
pour Poésie/première