Retour à l'accueil / Return to Homepage

Biennale Internationale de la Poésie Liège, 2005

Keith Barnes
1934-1969

Keith Barnes, né le 12 novembre 1934 à Dagenham, à l'est de Londres, d'une famille modeste, fut emporté le 10 septembre 1969, à l'âge de trente-quatre ans, alors qu'il vivait à Paris, par une leucémie sans appel.

Il avait six ans quand le Blitz frappa l'East End de Londres, où il se trouvait avec sa famille, avant d'être évacué, par deux fois. Les morts vécues, la résistance britannique, le NON de chacun et la victoire de l'esprit, du courage et de la résolution sur l'attaque, le marquèrent à jamais.

Jeune encore, il peignait des aquarelles avec son grand-père, puis des leçons de piano le menèrent à composer de la musique. A douze ans, il obtenait une bourse pour étudier à la Royal Academy of Music. A quatorze ans, il obtint un Premier Prix de Composition. Certaines de ses ouvres furent jouées par des groupes de musique de chambre et à l'East London Music Festival.

Il semblait devoir poursuivre une carrière de compositeur quand, en 1959, il détruisit toutes ses compositions musicales à l'exception d'une suite pour violoncelle. Un an plus tard, il écrivait Devaluation, inspiré par la première guerre mondiale mais aussi par les deux guerres précédentes. Ce premier poème fut aussitôt publié par le Times Literary Supplement.

Un poète était né. Le goût de l'écriture allait faire place à la vocation de l'écriture. Son ouvre poétique, réalisée entre 1960 et 1969, est composée de trois recueils : Born to Flying Glass (Harcourt, Brace & World, New York, 1967), The Thick Skin, terminé en 1968, (The Koala Press, Berkeley, 1971, édition confidentielle), Ain't Hung Yet (1969), regoupés dans Ouvre poétique / Collected Poems (éditions d'écarts, Paris, 2003).

Les thèmes en demeurent d'une parfaite actualité : poèmes sur la guerre et sur l'après-guerre, poèmes d'amour qui défient le temps, sur la société, sur l'écriture qu'il ne séparait pas du sentiment de la mort, tous traversés par un humour bizarre et bondissant qui rappelle son ascendance dans l'East End de Londres.

Born to Flying Glass donnait d'emblée le ton, avec le premier poème présenté : Prologue qui disait ses premiers souvenirs de guerre et indiquait qu'il s'agissait bien de sa première source d'inspiration. Ce thème se retrouve d'ailleurs dans les deux recueils suivants jusqu'à Games, l'un des derniers poèmes écrits.

Keith Barnes était aussi l'auteur de poèmes d'amour d'une force et d'une tendresse qui nous touchent profondément. Sensuel, instinctif, intuitif, il éprouvait pour ceux auprès de qui il vivait, qu'il côtoyait, qu'il croisait, des sentiments profonds. S'il ne possédait rien sur le plan matériel, il donnait beaucoup et était aimé en retour.

En 1962, Keith Barnes avait tout quitté : sa famille, son travail (il était alors monteur de films à la BBC), son pays, et était parti pour Chypre où, pendant presque un an, il avait pu écrire sans discontinuer.

C'est sur le chemin du retour vers l'Angleterre qu'il rencontra, à Paris, en 1963, pour vivre avec elle jusqu'à sa mort, celle qui devint, des années plus tard, sa traductrice, l'auteur de K.B. (éditions Maurice Nadeau, Paris, 1987) - et de ces lignes. Ce fut une rencontre décisive car, à partir de cette date, il lui fut possible de se consacrer entièrement à l'écriture. Poèmes, romans, se succédèrent alors sous sa plume. Nous n'en retenons ici que l'ouvre poétique.

The Thick Skin, son deuxième recueil, achevé en 1968, est composé de quatre parties : The Warmth of Two, Putting on Masks, The Thick Skin, Losing Face. Au-delà de la perception de son expérience personnelle, il y révèle une vision très actuelle de l'évolution de notre société, du choc des cultures et des excès de notre civilisation ainsi que le sentiment si répandu d'être partout un étranger, en transit, en attente.

Quant aux poèmes d'amour,  ils disent les rencontres et leur éblouissement, le mariage, la vie en couple avec leurs avatars, les séparations, les nouveaux départs, les amitiés, les amours nouvelles, le désir, plus fort encore que l'amour.

Un autre thème particulièrement présent dans l'ouvre de Keith Barnes est celui de l'écriture, liée à la mort, comme si écrire et la pensée de la mort ne faisaient qu'un, comme si l'unique issue de l'entreprise d'écrire était le sacrifice de la vie à l'écriture.

Dans Born to Flying Glass, la mort était encore un sujet dont il était possible de rire, parfois traitée avec légèreté. Dans The Thick Skin, le ton change et des zones de désespoir apparaissent. Sa drôlerie, demeurée très vive, se met à grincer, la critique sociale s'accentue. Même ses poèmes d'amour prennent une gravité et une profondeur sans précédent. Il gardait pourtant une personnalité ouverte, au bonheur de vivre et à l'humour communicatifs.

Ain't Hung Yet réunit les poèmes écrits pendant les mois qui précédèrent sa mort. La gaieté première avait disparu. Une certaine gravité l'emportait sans que ses goûts ni préoccupations aient en rien changé comme en témoigne le poème To a Realist.

Keith Barnes voulait écrire pour tous : son style est simple, accessible, concret. Tantôt proche de l'enfance, tantôt drôle, tantôt grave, tantôt familier, tantôt tragique, l'humour y est omniprésent. Sa voix, distincte, profonde, nous atteint jusqu'aujourd'hui, porteuse d'émotion mais aussi de sarcasme et de mélancolie, la voix d'un poète tôt disparu mais dont l'actualité, saisissante, est incontestable.

Jacqueline Starer