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"Rendez-vous des lecteurs" Société des Poètes Français, le 6 janvier 2007

Keith Barnes

Quand j'arrivai au siège de la Société des Poètes Français le 6 janvier 2007 pour le Rendez-vous des lecteurs auquel conviait Maggy De Coster, je redoutais un peu de reprendre mon bâton de pèlerin après avoir tant de fois présenté l'ouvre poétique de Keith Barnes à Paris, en Île de France, en province, et en me rappelant en particulier la ferveur du public présent à la conférence organisée par Linda Bastide au Sénat le 28 septembre 2002, dans le cadre des activités de la Société des Poètes Français,. En me demandant si j'allais encore capter mon auditoire avec la présentation du récit K.B. KEITH BARNES édité pour la première fois en bilingue aux éditions d'écarts, dans la collection Grand Écart, et qui est la véritable introduction à l'ouvre poétique de ce poète anglais emporté à trente-quatre ans, en France, par une leucémie foudroyante.

Mais ce samedi d'après vacances de Noël Jour de l'an, j'avais entre les mains non seulement le volume Œuvre complète Collected Poems de Barnes, mais aussi Une Chambre à soi de Virginia Woolf, que je tenais absolument à citer tant la réflexion qu'elle y mène est pertinente à la fois pour ce qui concerne le récit K.B. et son caractère pour partie autobiographique, que pour le fait que l'ouvre poétique de Keith Barnes n'est pas, loin s'en faut, passée aux oubliettes. Selon Virginia Woolf, et l'énumération des exemples le prouve, un écrivain anglais de modeste origine n'a pas vocation à réussir. À l'exception de Keats (mort à vingt-cinq ans), tous les autres écrivains anglais de sa génération ont été des universitaires issus des universités les plus prestigieuses, en particulier Oxford et Cambridge.

Il est en effet frappant d'observer que si l'ouvre poétique de Keith Barnes est arrivée jusqu'à nous aujourd'hui et si elle peut demeurer vivante pour les générations qui nous suivent, c'est grâce à un concours de circonstances et à des développements que l'on pourrait appeler miraculeux. D'abord, il a fallu une rencontre : notre rencontre à Paris, en 1963. Frappée par son talent, j'ai alors facilité la réalisation de son ouvre, puis je l'ai  portée, après sa mort, en France en 1969 - comme on porte une tâche, un fardeau, ou un sac de riz - avec la conviction d'avoir affaire à un travail de première qualité. Mon obstination à la faire connaître, à la défendre, à la faire partager, ne s'est jamais affaiblie. Évidemment  les sentiments y sont pour quelque chose.

Le rapprochement avec la façon dont l'ouvre de Wilfred Owen a pu être connue vient aussi à l'esprit : Wilfred Owen, poète gallois mort au front de ce massacre mutuel que fut la première guerre mondiale, à l'âge de vingt-cinq ans, exactement une semaine avant l'armistice de 1918. S'il n'y avait pas eu Siegfried Sassoon, officier poète comme lui et soigné comme lui et avec lui de blessures dans un hôpital près d'Édimbourg, devenu son ami, nous ne pourrions pas lire de nos jours les émouvants poèmes d'Owen, en grande partie inspirés par l'horreur vécue. Sassoon lui fit connaître ses pairs, l'aida à publier quelques poèmes dans The Nation puis assura l'édition de son oeuvre poétique complète en 1920 et en 1921.  Pour que les poètes morts jeunes arrivent jusqu'au présent, il leur faut en effet des passeurs.

Ce qui m'a facilité les choses, en ce qui concerne le poète anglais Keith Barnes, né dans l'East End de Londres, en 1934, et dont l'ouvre a été réalisée entre 1960 et 1969, année de sa mort, c'est qu'elle se révèle de jour en jour plus en plus actuelle. Keith Barnes avait étonnamment capté l'esprit de notre temps, surtout ses désespoirs et ses impasses. Sa sensibilité a été visionnaire. Personnes déplacées, rapport aux racines, face à face des cultures, beauté des rencontres réussies, masque grimaçant de celles qui sont ratées, visions interminables et renouvelées de guerre, capture si exacte de notre société de marché, de consommation, de violence même en temps dit de paix, rentrée, intériorisée ou exprimée, mais aussi, comme autant de miracles et d'exceptions inattendues, la persistance de l'amour d'autrui et, malgré tout, l'espoir qu'un mieux demeure possible.

Et, comme chaque fois que j'ai pu évoquer Keith Barnes, que le public soit nombreux ou pas, le courant est passé. Rue Monsieur-le-Prince, la salle a vibré et je me suis laissée emporter. Keith Barnes a beau être mort depuis presque un demi-siècle maintenant, il suffit de le lire pour qu'il soit à nouveau présent parmi nous :

homme ou femme   toi     le souffle de la vie
- trouver des mots    en face de toi   à cette table
qu'il me sera possible de prononcer
en te tenant les mains
en te regardant       droit dans les yeux -
des mots vrais   profonds   sincères
tellement vrais   qu'ils se tordront   qu'ils se convulseront

briseront leurs liens       et s'envoleront de leurs ailes
frapperont sans ménagement la cruche de réticence
qui se cassera et laissera couler l'eau   douce   chaude
vibrations    entre nous   tout au bout des doigts
effleurements   frémissements -
Et alors     alors seulement     moments de création
Homme et femme      toi     le souffle de la vie
Saurons que nous     et non les mots     sommes la poésie

Relisant ces lignes, on songe que, quand même, ce sont ses mots qui sont la poésie. Sa générosité, son empathie,  profondes, faisaient le reste.

Dans le récit K.B. KEITH BARNES écrit dans les années 80, que Maurice Nadeau avait publié en 1987, et qui paraît en 2007 avec une traduction anglaise de Helen McPhail, spécialiste de la première guerre mondiale, j'ai bien sûr d'abord cherché à faire connaître Keith Barnes, dire ce que je savais de sa vie,  faire apprécier son ouvre, lui faire prendre sa place parmi les écrivains de son pays et de sa génération, mais pas seulement. J'ai aussi cherché à faire le portrait d'un couple, celui que nous formions dans les années 60, à Paris, aux Etats-Unis (côte est d'abord, puis côte ouest), avec son espoir d'une vie autre. J'ai voulu rendre l'atmosphère de ces années si riches en événements et en transformations. Et j'ai voulu montrer comment se développait une écriture - pour lui - et comment venaient au jour des facultés créatrices en sommeil - pour moi.

Je n'ai pas cherché à tout dire, dans ce récit, mais à faire ouvre littéraire afin, par elle, de mener à lui.

Il agençait son matériau, heure après heure, jour après jour ; il travaillait les mots, les phrases, les poèmes avec la matière de ses émotions, de ses sentiments, de ses sensations et ne se souciait que de la justesse de leur transcription. Il ne planifiait rien ; chez lui, très peu de raisonnement, de logique ou d'intellectualisme. La vie, donc l'écriture, était une marche à vue où il suivait ce qu'il appelait son « instinct ». À la fois tourné vers l'extérieur et à l'écoute de lui-même, il n'entrait en action ou ne prenait de décisions qu'après avoir consulté sa voix intérieure.

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son seul désir était de mener à bien son unique tâche dans un coin tranquille et obscur.

un beau jour de mars 1966, une lettre de Harcourt, Brace & World arriva.Son premier recueil de poèmes était accepté ! Il avait reçu un chèque d'avance ! Sa joie fut immense et partagée par chacun des amis du petit groupe qu'ils formaient alors. Il photocopia précieusement son chèque, envoya les poèmes qu'il venait d'achever pour les inclure dans un recueil qu'il intitula Born to Flying Glass et prépara le second avec une énergie et un élan renouvelés.

Aujourd'hui, et grâce aux éditions d'écarts, K.B. est à nouveau disponible, son ouvre poétique entière nous est proposée, dans sa langue originale mais aussi en français et les deux ouvrages sont prêts à traverser la Manche, l'Atlantique, à aller là où leurs lecteurs francophones, anglophones et du monde, voudront la découvrir. Enfin ! Et, pour de bon !

Jacqueline Starer

de Jacqueline Starer
K.B. KEITH BARNES, Édition bilingue, traduction anglaise par Helen McPhail, 2007

de Keith Barnes
Ouvre poétique Collected Poems, Édition bilingue, traduction française par Jacqueline Starer, 2003
éditions d'écarts, 12-14 Grande rue des Stuarts F - 35120 Dol de Bretagne

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